ANNE
BOUD'HORS, UNE CHERCHEUSE PLURIDISCIPLINAIRE
La
coptologie reste souvent une discipline relativement
méconnue. Anne Boud’hors, chercheuse au CNRS
et enseignante à l’Institut Catholique,
démontre dans cet entretien que la coptologie
est une science riche d’avenir et de défis passionnants
pour qui fait l’effort de s’y engager.
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Comment vous est venue la vocation de la coptologie
et quel a été votre parcours ?
Si
je suis venue au copte c’est presque par hasard. Je m’étais
engagée dans la "Voie Royale" des études
classiques pour devenir archéologue. J’avais fait
Hypo-khâgne et Khâgne et étais entrée
à l’Ecole Normale Supérieure. Puis
je me suis inscrite en licence de Lettres Classiques ainsi
qu’en Egyptologie. Jean Leclant me donna un sujet
de maîtrise qui me permettait d’utiliser ma formation
classique : « Héliopolis dans les textes
classiques ».
L’année
d’après j’ai dû passer l’agrégation
puisque cela fait partie des obligations de l’Ecole. Lorsque
je l’ai obtenue je ne savais plus quoi faire. Sylvie
Cauville, que j’avais rencontrée à la
bibliothèque Champollion, m’a conseillé
d’étudier la papyrologie. J’ai donc suivi le séminaire
de Jean Scherer à l’Institut de Papyrologie
de la Sorbonne, conjointement avec la préparation
de mon D.E.A. Mon sujet concernait l’édition d’un
papyrus d’un poète grec du IVe siècle.
Au
moment où je préparais mon troisième
cycle, j’ai appris que la Bibliothèque Nationale
demandait un pensionnaire. Il s’agissait de rédiger
le catalogue des manuscrits coptes. J’avais du copte une
assez vague idée (j’avais suivi une demi-année
de cours à l'Institut Catholique avec le
Père du Bourguet), mais le poste me tentait.
Lorsque la commission s’est réunie il n’y avait
pas d’autre candidat. Je suis ainsi devenue pensionnaire
à la B.N., avec en charge un fonds copte énorme.
Cela m’a forcé à apprendre le copte à
toute vitesse, en feuilletant dans la grammaire de Mallon,
puis en suivant les cours de Gérard Roquet
à l’Institut Catholique. J’ai beaucoup peiné.
Au bout de quatre ans, j’ai publié un petit catalogue
de fragments bibliques.
Entre-temps
j’avais rencontré Marie Hélène
Rutschowscaya et Dominique Bénazeth
qui m’avaient montré l’étendue de la collection
de textes coptes au Louvre. J’avais aussi eu connaissance
de l’existence d’une collection importante à la
B.N.U.S. de Strasbourg par l’intermédiaire
de l’Association Francophone de Coptologie.
Je découvrais qu’il y avait un travail potentiel
considérable et qu’il n’y avait personne pour le
faire. Cela combinait mon goût pour l’Egypte et
pour les études classiques. J’avais trouvé
ma voie. En 1988, alors que mon contrat à la B.N.
était fini et que j’enseignais dans un collège,
Gérard Roquet, invité pour deux ans
au Canada, me confiait le remplacement de ses cours à
l’Institut Catholique.
Enseigner
une langue vous oblige à travailler régulièrement.
C’est cela qui m’a permis de rester dans le milieu, de
faire des démarches, de voir des gens, pour préparer
un dossier d’entrée au C.N.R.S. Je suis
entrée en 1990, après la troisième
tentative. J’ai été affectée à
la section Grecque de l’Institut de Recherche et d’Histoire
des Textes.
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Quel est l’état actuel des études en
coptologie?
Quand
j’ai commencé la coptologie, un professeur a tenté
de me décourager, en me disant qu’il s’agissait
d’un domaine sans avenir, toujours à cheval entre
deux disciplines. Faudrait-il intégrer la coptologie
dans les études égyptologiques? Certaines
universités le font.
A
Münster, une des meilleures universités en
ce domaine, l’Institut d’Egyptologie et de Coptologie,
fondé par Martin Krause, propose un cursus
complet considéré comme un tout. Il possède
une bibliothèque très riche. Les conditions
de travail y sont excellentes. Actuellement, le titulaire
de la chaire de coptologie est Stephen Emmel. A
Göttingen il y a une formation semblable. Tito
Orlandi enseigne à l’Université de Rome.
A
l’Université Laval de Québec, où
une équipe travaille sur les textes gnostiques
de Nag Hammadi, Wolf-Peter Funk dispense
un cours de copte. Aux Etats Unis, Bentley Layton
enseigne à l’Université de Yale.
En
Israël, à l’Université de Jérusalem,
la langue copte est enseignée par Ariel Shisha-Halevy
dans le cadre du département de Linguistique. Au
Caire, l’Institut des Etudes Coptes, placé
sous l’autorité du Patriarcat, dispense une formation
en arabe et en anglais.
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Quelles sont les perspectives des étudiants
en coptologie en France?
On
ne peut aborder le monde de la coptologie qu’après
des études classiques ou égyptologiques.
C’est sans doute pour cela que les étudiants sont
si peu nombreux. Le coptisant idéal devrait
être un bon égyptologue, un bon helléniste,
un bon papyrologue, un bon paléographe.
Il n’est pas facile de faire des études de coptologie
en France parce qu’il n’existe pas réellement de
cursus, et que le domaine copte se situe en marge de plusieurs
disciplines.
A Paris, les deux endroits où l’on peut apprendre
le copte sont l’Institut Catholique et l’Ecole
du Louvre. Khéops dispense seulement un cours
d’initiation. A l’Institut Catholique, Nathalie
Bosson s’occupe actuellement de la première
et deuxième année et moi-même de la
troisième et d’un séminaire de recherche.
Le manque de formation universitaire implique qu’il n’y
a pas de diplôme, donc on hésite à
s’engager dans une voie qui n’a pas de débouché.
Un changement s’amorce cependant : des accords ont été
passés entre l’Ecole Pratique des Hautes Etudes
et la Sorbonne. Maintenant les doctorats de l’E.P.H.E.
sont reconnus comme des thèses d’Université
(pour le copte Gérard Roquet est directeur
d’études à la IVe section et Jean-Daniel
Dubois à la Ve section). A l’Institut Catholique,
dans le cadre de l’E.L.C.O.A., on peut désormais
entreprendre un doctorat dans un des secteurs de l’Orient
Chrétien.
Pour la suite, le passage par l’I.F.A.O. me paraît
très important (l’I.F.A.O. n’a pas eu depuis presque
vingt ans de pensionnaire coptisant). Enfin il me semble
que le C.N.R.S. aurait vraiment besoin d’autres
spécialistes de copte. Depuis cinq ans, je
remarque une nouvelle tendance dans mes cours de copte
à l’Institut Catholique : de plus en plus
de jeunes étudiants y viennent, et c’est encourageant.
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Quelles sont actuellement les fouilles françaises
coptes en Egypte?
Il
n’y a pas actuellement de fouille française en
Egypte, sur des sites coptes. On rêve toujours de
rouvrir le chantier de Baouît dont à
peine 5% a été fouillé. Ramez
Boutros, l’architecte de l’I.F.A.O., poursuit actuellement
le relevé de l’église de Denderah.
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Quelles sont les orientations actuelles de vos recherches?
Actuellement
je travaille à partir de photographies, à
la publication d’un manuscrit inédit de Chénouté
de 300 pages, conservé à l’I.F.A.O.
Je m’occupe aussi d’un lot de papyrus de Louvain et des
ostraca coptes conservés dans les réserves
égyptiennes du musée du Louvre.
La
priorité dans les études coptes est la
publication et le catalogage des textes. En France,
il reste environ 90% du travail à faire! C’est
la base de tout travail ultérieur.
Entretien
réalisé par Monica Caselles-Barriac et Cédric
Meurice avec l’aimable collaboration de Jean-Luc Fissolo.
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