L'Institut
du Monde Arabe à Paris a pour but d'établir un pont
culturel entre le Monde Arabe et l'Europe. Mais un décalage
apparaît entre le fondement politique sur lequel s'établit
l'Institut - la Ligue Arabe - et ses vocations strictement
culturelles. Dans un tel contexte, quelle définition donner
de la culture arabe ?
L’
IMA propose une définition culturelle du Monde arabe
partiellement fondée sur l'appartenance linguistique des
pays membres. Le Monde Arabe serait le monde arabophone.
Ses origines sont donc en partie recherchée dans l'histoire
des pays de langues dites sémitiques anciennes. Dans
le cadre de cette définition linguistique, s'entremêlent
la langue, l'histoire et la géographie. D'après la Genèse,
Sem, Cham et Japhet, fils de Noé,
ont reçu leur pays chacun selon leur langue. Les philosophes
du XVIIIe siècle ont, pour cette raison, divisé
les langues connues par les hébreux en trois groupes: sémitiques,
chamitiques et japhéites (ou indo-européennes). Mais, il
reste que toute localisation précise de ces langues est
difficile et que l'on recourt à une terminologie parfois
floue pour parvenir à rendre compte de la réalité. L'égyptien
antique est ainsi qualifié de « chamito-sémitique ».
Plus clairement, les langues sémitiques partagent un caractère
commun, qui n'est pas d'ordre territorial : leurs racines
consonantiques extrêmement stables dans le temps. Il est
donc tentant de relier le shamash akkadien au shams
(soleil) arabe. Par ricochet, il devient presque légitime
de reconnaître dans les civilisations millénaires du croissant
fertile ou d'Arabie, les lointains précurseurs de la culture
arabe. On notera dans l'exposition « Yémen, au pays
de la reine de Saba » l'importance qui avait été accordée
à la langue sud-arabique et celle qui est réservée au phénicien
dans l'exposition sur le « Liban, l’autre rive ».
Concernant les périodes postérieures à la conquête arabe
on insistera moins sur le caractère sémitique de la langue,
l'usage de l'arabe s'imposant peu à peu.
La
langue n'est pas seulement un critère définissant, elle
est aussi le vecteur d'une culture. En 1995, l'exposition
« la médecine au temps des califes » développait
d'ailleurs, en filigrane, l'idée que la science arabe
était celle écrite en langue arabe. Les « itinérances »
d'une cour à l'autre des médecins du Moyen Age autorisaient
à dépasser les frontières politiques et à reconnaître que
la culture et la pensée n'avaient d'autres limites que la
langue et son support papier ou parchemin. L'aire géographique
touchée par la science arabe débordait ainsi du Monde Arabe
actuel. Pour autant, parlerions-nous de science anglo-saxonne
parce que les scientifiques de notre temps s'expriment dans
cette langue ? Les spécialistes de sciences arabes
du Moyen Age ont sans doute insisté sur le facteur d'unité
qu'a constitué la langue dans l'élaboration d'une science
originale, mais ils avancent également qu'elle a pour particularité
de s'être développée en terre d'islam. Qu'englobe la notion
de terre d'islam?
Une
civilisation arabo-musulmane
La
notion de terre d'islam n'évoque pas une sorte d'uniformité
confessionnelle sur un territoire donné, mais le fait que
ce territoire est soumis au pouvoir de chefs musulmans.
Parallèlement à la question de l'utilisation de l'arabe
comme langue scientifique, cela pose le problème des interférences
entre le pouvoir, la langue et la religion.
Le
rôle du pouvoir politique sur l'élaboration de la culture
arabe se joue notamment par le fait qu'il contribue à la
diffusion de la langue arabe. Dès la période omeyyade, la
politique des califes était d'imposer cette langue au sein
de l'administration. Ainsi, la faveur dont elle jouit auprès
des scientifiques du Moyen Age s'explique en grande partie
par le fait qu'elle dominait à la cour. En outre, les califes
agissaient comme des mécènes et commandaient de nombreuses
traductions de manuscrits syriaques ou grecs en arabe. Cette
langue de pouvoir est progressivement devenue de science
et de culture.
L'accent
porté sur la langue permet, par ailleurs, de ne pas identifier
scientifiques arabes et scientifiques musulmans. Des médecins
zoroastriens n'ont-ils pas été appelés à la cour des califes
omeyyades ? Al-Maïmonide n'est-il pas un exemple éclatant
de médecin philosophe juif écrivant aussi sa science en
arabe? La culture arabe, comme nous l'avions définie, c'est-à-dire
écrite en langue arabe, n'est donc pas nécessairement
musulmane, même si au Moyen Age elle s'est épanouie
en terre d'Islam. Cependant, si la langue arabe est celle
des califes, si elle s'impose comme langue de pouvoir et
par là même gagne les milieux scientifiques indépendamment
des aspects religieux, il n'est guère possible de la considérer
hors des influence de l'Islam.
En
effet, cette langue s'est-elle imposée du fait de l'origine
des conquérants et de leur domination politique, ou en raison
du rôle assumé par les califes, successeurs de Mahomet et
garants de la transmission d'une parole révélée en arabe ?
Quelle est la part de la religion musulmane dans l'élaboration
de cette culture ? La conquête arabe est indissociable
de l'apparition de l'Islam qui en fût partiellement le moteur.
L'Islam est à la base des lois, elle a participé de la formation
théorique des grands scientifiques. Le pouvoir califal ne
joue pas seulement un rôle unificateur favorisant les sciences
arabes, notamment par la diffusion de la langue arabe, mais
encore, il modifie la culture des peuples conquis par l'introduction
d'une nouvelle source d'inspiration religieuse.
Notons
que la diffusion de la religion permet aussi celle de
la langue arabe et donc, de manière spiralée, l'élargissement
de la sphère des influences culturelles possibles. Ainsi,
les musulmans d'Inde, de Chine et d'ailleurs apprennent
les éléments d'arabe nécessaires à la lecture du Coran.
Sur la base de la religion, souvent indissociable de la
politique, peuvent aussi, dans un mouvement inverse, s'exercer
des influences venues de l'extérieur des pays de langue
arabe. A titre d'exemple, l'Inde Moghole ou la Turquie ottomane
ont contribué à la formation de la culture des pays arabes.
Se
croisent une pensée et une science arabes, écrites en arabe,
et une tradition musulmane sise sur un pouvoir politique
qui, dans les limites des pays du Monde Arabe, tissent une
civilisation qualifiée « d'arabo-musulmane ».
De nos jours, en raison de la relation complexe qu'entretiennent
toujours le pouvoir et la religion musulmane, la langue
par laquelle a été révélé le Coran n'est pas seulement interprétée
comme une langue de culture, mais aussi, et de plus en plus,
perçue comme l'un des symboles de l'Islam. Il reste que
l'ensemble des peuples conquis ne sont ni nécessairement
de langue arabe, ni nécessairement musulmans.
Vers
une définition historique
Comment
considérer les minorités qui ne s'expriment pas en arabe ?
La légitimité au sens strict de la langue berbère en Algérie
a récemment soulevé ce délicat problème. Des réflexions
parallèles ont cours dans les médias concernant le Soudan.
Le problème se pose d'autant plus qu'il recoupe parfois
celui de l'appartenance confessionnelle. Ce que la culture
arabe n'intègre ni par la langue, ni par la religion, paraît
voué à l'exclusion.
Elle peut cependant l'entraîner dans son sillage par l'appartenance
territoriale, politique ou historique. Cette appartenance
paraît bien complexe à définir. Il n'est plus guère possible
de parler de terre d'Islam, les pays musulmans étant bien
plus nombreux que les pays arabes et le droit à la laïcité
peut être revendiqué par certains. L'identité arabe ne peut
plus se forger autour d'un pouvoir califal. Elle se forge
peut-être autour de l'histoire d'une terre commune à plusieurs
groupes au fil du temps et qui fut conquise par les arabes.
L'exposition « Jordanie, sur les pas des archéologues »
retraçait l'histoire de ce pays en remontant le temps depuis
la période omeyyade jusqu'au VIIe millénaire,
liant ainsi des millénaire de civilisation suivant un fil
directeur unique : l'occupation d'une terre.
L'Institut ne limite donc pas son propos à la période strictement
postérieure à la conquête arabe ou aux origines de la langue
arabe, l'approche de l'histoire antique voire de la préhistoire
font également partie de ses attributions.
Ces problèmes de définitions de l'identité culturelle arabe
étaient l'un des enjeux majeurs de l'IMA qui reste,
à cet égard, un laboratoire. Par ailleurs, des expositions
archéologiques dessinent également une définition de la
culture arabe adaptée au public européen.
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