INTERVIEWS

BEATRIX MIDANT-REYNES

Chercheur au CNRS (UMR 150, laboratoire d’anthropologie de Toulouse), présidente de l'association Archéo-Nil, Béatrix Midant-Reynes dirige les fouilles du site prédynastique d'Adaïma.

Comment vous est venue la vocation de la préhistoire égyptienne ?

Toute petite, j’étais déjà intéressée par l’Egypte et la préhistoire. Lorsque est arrivé le moment de commencer mes études d’égyptologie, j’ai voulu allier ces deux passions. La préhistoire égyptienne s’est imposée tout naturellement.

J’ai d’abord fait des études d’égyptologie classique à l’université Paris-IV, avant de suivre une formation en préhistoire au sein de l’équipe de Jacques Tixier au CNRS. Ma thèse d’égyptologie soutenue en 1975, sous la direction de Jean Leclant, je suis partie faire mes preuves sur le terrain, à Qatar. C’est ma connaissance des outils lithiques qui m’a permis d’arriver, enfin, en territoire égyptien pour participer aux fouilles de Ain’ Aseel en 1982.

Pendant toutes ces années, je me suis formée toute seule en préhistoire égyptienne. J’ai fait un séjour de deux ans à Munich, dans le cadre d'une bourse Humbold, à l’Ägyptische Sammung dont Dietrich Wildung était alors le directeur. L'Allemagne a joué un rôle déterminant dans ma carrière. C'est grâce aux Allemands, à l'exemple de Werner Kaiser que j'ai eu la chance de rencontrer, que la protohistoire s'est développée. De retour en France, je suis rentrée au CNRS en 1987.

Que représente pour vous le site d'Adaïma ?

C'est une très belle histoire. Elle commence en 1972, pendant que j'étais en vacance au Caire, Serge Sauneron m'a accordé un entretien. J'étais impressionnée que le directeur de l'IFAO reçoive une jeune étudiante. Il revenait d’Esna où il avait redécouvert avec Fernand Debono le site d’Adaïma, fouillé par Jacques de Morgan au début du siècle. Ce genre de site, avec son habitat et ses cimetières, était pour lui la clé de la compréhension de la culture égyptienne.

J'avais 20 ans. Depuis ce jour, Adaïma m’est toujours resté dans la tête. De 1985 à 1988, je suis retournée chaque année sur le site. Les cultures menaçaient de le détruire entièrement. Après avoir longuement exposé auprès de Madame Posener à l'IFAO l'opportunité archéologique que représentait un tel gisement, j'ai commencé les fouilles en 1989. A l’heure actuelle je prépare avec toute l’équipe la publication d’Adaïma, dédiée à la mémoire de Serge Sauneron, qui était un grand visionnaire.

Quelles sont vos recherches actuelles ?

Je continue les fouilles d'Adaïma, dont le second volet du programme de recherches vient de commencer.

Mes séminaires de cours à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales de Toulouse sont achevés pour cette année. Il s'agissait de présenter le processus de néolithisation de la vallée du Nil et les premières cultures protohistoriques. L'année prochaine, je compte axer ces exposés sur l'étude de l'habitat.

En ce qui concerne Archéo-Nil, la revue est aujourd'hui demandée par tous les grands instituts de préhistoire et d'égyptologie. J'espère allier au dynamisme de la société l'organisation prochaine d'une exposition sur Adaïma, dans le cadre du Musée des Antiquités Nationales.

Que conseilleriez-vous aux étudiants ?

La préhistoire égyptienne est une voie très difficile. Je leurs conseillerais de suivre une autre voie s'ils ne sont pas véritablement passionnés par ce domaine, ou s'ils n'ont pas la carrure de s'engager dans une telle aventure. La filière Sciences Humaines du CNRS manque toujours plus de crédits pour mener à bien ses travaux. Le mieux est, à mon avis, d'envisager une carrière universitaire, de passer des concours. Il n'existe pas d'enseignements particuliers pour la préhistoire égyptienne, mais des formations à saisir un peu partout, et notamment à l'étranger.

Pour être préhistorien, il faut être égyptologue. La préhistoire de l’Egypte ne peut être comprise qu’à travers la dimension égyptienne. Il suffit, par exemple, d'observer les manipulations osseuses dans les cimetières d’Adaïma pour penser tout de suite aux hymnes cannibales des Textes des Pyramides.

Quel est l'apport de la préhistoire pour l'égyptologie ?

Tout. Ce sont les racines de la civilisation égyptienne qu'on découvre. On ne peut plus étudier la civilisation égyptienne sans appréhender le phénomène préhistorique. Plus qu’on ne le croit bien souvent, elle garde pendant toute son histoire des caractères issus de la préhistoire. La civilisation égyptienne est une civilisation néolithique.

Entretien réalisé par Jean-Olivier Gransard-Desmond, Johann Renard-Templier et Yann Tristant.

4/04/01

© Renaud de Spens, 2000