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Hugues Perdriaud , « Memphis : la préoccupante situation des ruines de Ramsès II dans le temple de Ptah  », janvier 2000.

L'auteur

A quelques centaines de mètres du musée en plein air de Memphis (situé aux portes de Mit-Rahina) quelques restes de monuments antiques apparaissent encore entre les palmiers et les remblais de terre.

La nécropole de Saqqarah, prise d'assaut par les autobus des tours-opérateurs, n'est pas loin à la lisière du désert occidental. Sa notoriété occulte presque totalement la présence de ces vestiges, derniers témoins in situ de ce que fut Memphis, l'une des plus cosmopolites capitales du monde antique.

L'étendue qu'elle occupait jadis est actuellement partagée entre El-Badrashein, où passe la ligne de chemin de fer et Mit-Rahina. L'espace entre ces deux bourgades est occupé par une palmeraie, des champs et des terrains vagues, domaine des chèvres et des jardins familiaux.


Photo 1. Tombes

Quatre ensembles de constructions sont particulièrement visibles dans cette zone. Il s'agit tout d'abord d'un groupe de tombes (photo 1) très dégradées et remplies de déchets, situé le long de la route goudronnée qui mène à la nécropole. Puis, non loin de là, sur la droite, dans une faible déclivité, une toute petite chapelle restaurée et des restes de parois décorées de reliefs (photo 2).


Photo 2. Temple de Ptah

A l'entrée de Mit-Rahina, on remarque les vestiges arasés d'un autre bâtiment, plus important dont le plan au sol est encore visible sur un site difficilement accessible et vaguement clôturé. L'édifice aurait appartenu au palais que le pharaon Amasis avait fait aménager dans le domaine de Ptah.

C'est cependant un peu plus loin, dans le village même, au milieu d'un champ de blocs, qu'émerge nettement un alignement de bases de colonnes un peu plus évocateur. Il s'agit là des ruines d'un aménagement datant du règne de Ramsès II qui prolongeait le temple de Ptah et qui, par les hasards du temps et de la transformation du milieu due à l'occupation humaine, se retrouve aujourd'hui dans une cuvette perpétuellement envahie d'eau saumâtre au centre de ce qui apparaît clairement comme une...décharge publique.

Bandeaux de textes et détritus

En ce lieu, nul gardien, aucun péage, aucune barrière. Le contraste avec le plateau de Saqqarah est saisissant. L'accès au site est relativement aisé, c'est d'ailleurs l'aire de jeux préférée des gamins du coin, entre deux camions qui déchargent un peu plus haut leurs bennes de gravats.

Les ruines occupent un vaste espace, envahi d'eau croupie profonde d'une vingtaine de centimètres au centre où dérivent des sacs plastiques, des bidons et divers résidus de boîtes métalliques. C'est un champ de blocs épars, délimité sur trois côtés par les assises d'un mur d'enceinte en granit orné encore de bandeaux de textes marqués aux noms de Ramsès II et Mérenptah. Quatre bases de colonnes sont encore visibles, alignées devant un mur arasé percé d'un portique dont subsiste le seuil et quelques traces de textes.

Deux socles de colosses matérialisent , de l'autre côté de cette entrée, une nouvelle partie du bâtiment disparu. On a consolidé leur position en les étayant avec des blocs soudés au ciment.


Photo 3. Cartouches de Ramsès II au dos d'un groupe assis

Au hasard du parcours, on trouve parmi les débris à demi enterrés ou affleurant la surface des eaux des éclats de granit très usés appartenant à des statues (photo 3) ou des pièces architecturales (photo 4) et partout où se tourne le regard, des monticules de déchets mêlés au sable et à la terre qui semblent avancer inexorablement et menacer de recouvrir le site dans l'indifférence générale.


Photo 4. Corniche marquée aux cartouches de Ramsès II

Si ce n'était le passage des véhicules sur la route non loin de là et les cris des enfants en joyeuses bandes qui sautent d'un bloc à l'autre, brisant souvent dans leurs jeux des morceaux de pierre qu'ils jugent sans importance, l'endroit paraîtrait mort.

Quelque part il l'est effectivement et cet état de désolation ne peut pas laisser indifférent d'autant que, par le passé, sans être toutefois réellement protégé, le lieu ne souffrait pas d'une telle pollution. Une photo prise dans les années 1960 et publiée en carte postale dans le fond photographique Lehnerdt et Landrock, au Caire, le montre assez clairement.

Faut-il en arriver à espérer que les détritus recouvrent vite la totalité de la zone ? Elle serait ainsi moins exposée aux agressions extérieures issues du désintérêt ou de l'ignorance, et préservée à la manière de l'hypostyle de Khnoum à Esna que les archéologues mirent à jour sous une chape protectrice de plusieurs mètres de déchets.

Manque de moyens et d'intérêt...

Le cas de ces ruines n'est pas unique en Egypte. Un certain nombre de sites, en effet, sont ainsi laissés à l'abandon par faute de moyens, de motivation, parce qu'ils sont trop éloignés des chemins touristiques également ou qu'ils ne sont pas suffisamment évocateurs.

Les autorités locales rencontrent, par ailleurs, certaines difficultés pour gérer la multiplicité des programmes de fouilles, égyptiens comme étrangers en cours.

C'est une logique bureaucratique qui prédomine, avec tout ce qu'elle implique en terme de lenteurs administratives, de frictions et d'inertie. Sous le prétexte d'empêcher que les dégradations perpétrées jadis au nom de l'art ne se reproduisent, d'une manière ou d'une autre, les ministères et commissions concernés ne favorisent pas l'ouverture aux chercheurs de champs nouveaux d'investigation, a fortiori dans ce type de régions situées à la limite de prestigieuses zones de fouilles.

Pourtant, les effets du laisser-aller peuvent être pires que ceux d'une égyptomanie gourmande. Et plus encore quand la population n'est pas sensibilisée aux richesses de son patrimoine parce qu'elle a d'autres motifs de préoccupations beaucoup plus urgents et vitaux et que sa culture ne l'y prépare en rien. L'âge des pharaons reste ici pour l'immense majorité l'âge des « païens ».

Et cette considération peut être lourde de sens dans un pays où l'être humain se définit avant tout par son appartenance à une communauté religieuse reconnue, c'est à dire une religion du Livre.

La particularité de cette aile du temple de Ptah, c'est le danger à court ou moyen terme que lui fait courir l'occupation humaine de ses environs. C'est un scénario identique à ceux que connaissent, à une plus importante échelle, les pyramides de Giza, encerclées par la ville ou certains monuments d'Alexandrie menacés par une digue ou une route.

Le site n'a pas fait l'objet d'une étude systématique, au moins pas depuis plusieurs années si cela a jamais été tenté. Il mériterait pourtant qu'on s'y intéressât de plus près étant donné le peu de témoignages significatifs qu'il subsiste encore de ce que fut Men-Néfer, la Balance des Deux Terres. Pourtant, comme souvent dans pareil cas, avant même de songer à une étude éventuelle un jour prochain, il y a plus urgent dans l'immédiat : la préservation du site.

Des mesures simples...

L'Etat égyptien ne peut être partout. Logiquement, il reviendrait aux collectivités locales, à l'échelle du gouvernorat ou des bourgades de Badrashein et Mit-Rahina avec les moyens dont elles peuvent disposer de prendre le relais.

Pour les raisons citées plus haut, et pour d'autres encore, rien ne semble plus difficile à mettre en oeuvre. Il faudrait pour cela régler quelques problèmes matériels tenaces, changer les mentalités et faire évoluer la conception que les Egyptiens ont de leur propre passé.
Or le site ne pourra pas attendre l'aboutissement de cette mini révolution, il disparaîtra avant si une dose de bonne volonté doublée de quelques mesures simples, n'engageant pas d'investissements astronomiques, ne viennent pas à son secours rapidement.

Dans un premier temps, il serait impératif d'isoler la zone en profitant de sa situation encore libre de toute habitation proche pour poser une clôture gardée par du personnel engagé à Mit-Rahina même (c'est ainsi qu'on a procédé pour les vestiges ptolémaïques et romains mis à jour dans la région frontalière et isolée de Siwa, une façon de sensibiliser les gens du cru à leur patrimoine).
Cette clôture devrait assurer le lieu contre les dégradations humaines. Se poserait toujours le problème de la zone de décharge qu'il faudrait alors déplacer afin que le volume entassé de gravats et de déchets n'augmente pas.

Ensuite, organiser une opération de pompage afin d'assainir la zone envahie d'eau stagnante même si cette action n'est susceptible d'avoir qu'une portée limitée. L'eau est, en effet, vraisemblablement issue d'une résurgence, donc appelée à réapparaître si le site ne fait pas l'objet d'un drainage par la suite. Une fois la zone asséchée, il conviendrait de la nettoyer systématiquement des détritus qui la jalonnent.

Même si les ruines memphites de Ramsès II ne doivent jamais se trouver sur l'itinéraire touristique des visiteurs qui se rendent en masse dans la nécropole de Saqqarah, beaucoup plus impressionnante, même si elles ne font pas l'objet de fouilles ou d'une étude avant de nombreuses années, avec, somme toute, assez peu de moyens elles seraient protégées, au moins pour un temps, de ce que les anciens Egyptiens redoutaient le plus : de l'oubli.

C'est là le moindre des hommages que l'on puisse rendre à ce lieu que le temps n'a guère épargné et au roi qui croyait laisser dans les murs qu'il fit élever son empreinte éternelle : « Le temple de Ptah dans Hout-Ka-Ptah construit en matériaux d'éternité, en excellente maçonnerie de pierre parachevée avec de l'or et de réelles gemmes [...] Je l'ai équipé avec des prêtres et prophètes, serviteurs, champs, bétail, je l'ai rendu propre à y célébrer des fêtes avec des offrandes sacrées et des myriades de choses... » (in Chr. Desroches-Noblecourt, Ramsès II, la véritable histoire, Paris, 1996, p.347).

2/04/01

© Renaud de Spens, 2000