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Hugues Perdriaud, « A propos de l’égyptologie universitaire en Egypte », mai 2001

L'auteur

Pour les élèves égyptiens qui s’interrogent sur l’orientation de leurs études, une fois le bac réussi, l’égyptologie n’est, paradoxalement, pas encore réellement au goût du jour car c’est une spécialité qui reste mal connue du grand public.

Elle subit le contrecoup d’une réelle absence de sensibilisation auprès d’un large public, surtout d’un public jeune. Malgré les découvertes régulières et retentissantes on ne lui fait que très peu de « publicité » à moyen ou long terme.

Dans le monde occidental, la passion pour les pharaons naît souvent dans l’enfance ou à l’adolescence au hasard d’un film, d’une lecture, d’une rencontre ou d’un cours en classe de sixième. En Egypte, la quasi absence de communication sur le sujet au niveau scolaire rend cet éveil improbable, tant à l’école qui survole la période antique dans les programmes d’histoire contrôlés par l’Etat (portant le nom évocateur de Matières nationales), que dans la majorité des familles qui ne connaissent que les grandes lignes –et encore - de ce lointain passé.

Il faut préciser que le système scolaire égyptien, d’une complexité consommée, ne facilite pas les choses. Il allie à un régime soutenu d’examens continus qui débute...en maternelle, un savant calcul qui évalue la réussite d’une épreuve en pourcentages.

En simplifiant, disons que ces pourcentages déterminent, par la suite, l’entrée aux différentes universités. Pour donner un exemple concret, l’élève qui prétend intégrer la faculté de médecine ne peut pas y parvenir au dessous d’un taux de réussite variant aux alentours de 95% à la sanaweya ‘ama, l’équivalent du bac. Les meilleurs éléments ont naturellement tendance à se tourner vers cette filière considérée, parmi quelques autres, comme socialement prestigieuse.

L’intérêt pour l’égyptologie et surtout l’idée qu’il puisse déboucher sur des études apparaît généralement plus tard, lorsque le jeune égyptien termine son cycle scolaire. Le contact avec les nombreux étrangers, touristes ou résidents, peut également y contribuer, dans une certaine mesure.

C’est l’Université d’Archéologie du Caire (établie à Giza, à quelques kilomètres du site des Pyramides) qui assure la formation requise. Pour y entrer, le pourcentage de réussite à la sanaweya demandé n’est pas négligeable ce qui signifie que les étudiants qui intègrent la filière ne l’ont pas fait par défaut comme c’est parfois le cas dans les facultés de sciences humaines en France où l’on « fait Histoire » parce qu’on a pas pu bénéficier d’une autre formation.

De plus, toujours en France, les étudiants ne peuvent réellement se spécialiser qu’après la licence et choisir la filière égyptologique qu’au moment de passer en maîtrise. Dans le système égyptien, cette orientation se fait dès le second trimestre de la première année en faculté d’Archéologie.

Ce qui signifie qu’à nombre d’années d’études post-baccalauréat égal, l’étudiant égyptien a déjà cinq années de pratique spécialisée derrière lui. Il a donc eu le temps d’aborder tous les aspects de la civilisation pharaonique (art, archéologie, histoire, religion et tous les stades de la langue) et la possibilité de se rendre in situ pour travailler sur les monuments originaux.

Quelque part, c’est le meilleur type de formation que l’on puisse souhaiter à un futur égyptologue.

Une discipline également enseignée en français

Depuis quelques années, l’égyptologie égyptienne prend un nouvel essor grâce à l’action combinée de divers facteurs. L’un d’entre eux est incontestablement l’influence de certains grands égyptologues ou chercheurs égyptiens de plus en plus médiatisés, dont les travaux et les interventions font référence.

Il faut ajouter à cela la refonte des modes d’enseignements de la discipline à l’université, le développement des techniques modernes d’investigation et la proximité des missions archéologiques étrangères.

C’est grâce à cette évolution que la filière francophone d’égyptologie a pu être créée à la fin des années 1990.

Tout comme la section dépendant de la faculté d’archéologie du Caire qui dispense son enseignement en langue arabe, le programme vise à promouvoir l’égyptologie et offrir une approche plus pratique de la langue française appliquée à une science concrète, de terrain.

Il fonctionne au sein de l’Université et suit le même programme.

Le cycle proposé correspond à quatre années pour obtention de la licence et d’une année supplémentaire pour l’acquisition du « magistère ».

Une partie des cours (notamment l’épigraphie et tout ce qui touche à la langue égyptienne ancienne) est dispensée en français par des enseignants francophones de l’Université ainsi que par un coordinateur dépendant du Centre Français de Culture et de Coopération (CFCC, le Caire ).

Il n’est pas indispensable de posséder un bon niveau de langue au moment de l’inscription. Toutefois, l’étudiant qui se dirige vers cette section sait qu’il aura un double effort à fournir car, à terme, il devra être en mesure de s’exprimer et rédiger ses travaux en français.

Une équipe du Centre a pour mission d’assurer, durant toute la durée du cursus, des cours de soutien adaptés aux différents niveaux ainsi que des cours dits « de spécialité » (français appliqué à l’égyptologie). Les étudiants sont, en fait, suivis au cas par cas.

L’enseignement théorique se double, par ailleurs, de contacts sur le terrain avec les missions archéologiques françaises, mais aussi étrangères, encourageant l’ouverture sur les deux autres grandes langues de l’égyptologie, l’anglais et l’allemand.

La section est actuellement composée de petits effectifs, les jeunes femmes y sont majoritaires ce qui n’est pas étonnant dans un pays où elles ont largement accès aux études supérieures. Certaines étudiantes, particulièrement brillantes, de la première promotion se sont vues offrir des séjours linguistiques en France pour améliorer leur pratique de la langue.

Des stages dans des musées français sont également envisagés pour leur fournir un complément de formation en muséologie.

Le cursus n’est d’ailleurs pas réservé aux étudiants égyptiens : la filière a déjà accueilli une étudiante roumaine, pour un trimestre, en auditeur libre, dans le cadre d’un programme d’échange entre la Roumanie et l’Egypte.

Un séjour d’un trimestre ou d’un an en auditeur libre au sein de la filière, pourrait permettre à tout étudiant étranger de suivre (ou continuer à suivre) un enseignement en égyptologie, tout en découvrant, sur le terrain, les monuments par lui-même ou grâce au programme d’excursions établi par l’Université.

Dans un pays ou la francophonie a perdu beaucoup de terrain depuis fort longtemps, cette filière originale en offre une approche novatrice et concrète : la langue de Molière ne s’apprend plus pour marquer une différence sociale ou briller culturellement dans les salons, mais pour travailler, communiquer sur une ressource de l’Egypte qui n’est pas prête de se tarir : son patrimoine historique.

Les étudiants qui achèveront dans les années à venir leur formation avec succès sont déjà pratiquement assurés d’obtenir un poste à responsabilités, soit auprès des missions de fouilles, soit auprès d’organismes égyptiens comme le Haut Conseil des Antiquités, ou le Ministère de la Culture, soit enfin auprès de l’Université d’Archéologie elle-même.

Pour en savoir plus :

-site du Centre Français de Culture et de Coopération du Caire : http://cfcc.ie-eg.com/

-responsable des filières francophones : Mme Hoda.Boraï

-coordinateur de la filière égyptologie : Mme Nathalie.Beaux-Grimal NatBeauxGrimal@aol.com

Je tiens à remercier Mme N.Beaux-Grimal du CFCC et M.G.Laforêt du lycée Français du Caire pour leur précieuse collaboration et le temps qu’ils m’ont consacré.

17/10/01

© Renaud de Spens, 2000-