Relations
entre Etats
« Essai
de définition des modes de relation entre États
avant la Deuxième Période intermédiaire »,
est le titre de la thèse
de doctorat soutenue en Sorbonne le 20 février
1997 par Aminata Sackho-Autissier, devant un jury composé
de Ch. Bonnet, Br. Gratien, N. Grimal (directeur), A.
Laronde et J. Leclant
Résumé
Lenquête
se présente en trois volumes. Le tome I
est consacré à létude même.
Le tome II, intitulé « Corpus »,
rassemble les textes utilisés dans le premier
volume. Le tome III, « Planches »,
réunit lensemble des supports visuels illustrant
le premier volume.
INTÉRÊT
DU SUJET
Lenquête
a tenté de considérer lÉgypte
hors de ses frontières, dans un contexte davantage
international.
La
méthodologie employée est double :
une étude des sources écrites égyptiennes
et une enquête sur les témoignages archéologiques,
quand ceux-ci existent. Les sources textuelles sont,
pour lessentiel, les biographies des fonctionnaires
de lAncien et du Moyen Empire, les récits
de campagnes militaires et des razzias punitives, et
quelques documents dits « de propagande politique »
nous informant sur le programme politiques des rois
dÉgypte. Les textes « non-égyptiens »
nont pas été pris en compte, dune
part, en raison de leur absence pour la sphère
nubienne, soudanaise et palestinienne et, dautre
part, parce que seul le point de vue égyptien
rentre dans le cadre de cette étude.
La
documentation archéologique a été
rassemblée à partir des rapports de fouilles
et de mon expérience de terrain en Syrie, ainsi
que dans le nord et lest du Soudan.
À
ceci sajoutent les apports tirés de mes
études en ethnographie et en anthropologie sociale.
Si la préhistoire et la protohistoire associent
désormais aux recherches traditionnelles des
études danthropologie sociale, les spécialistes
de la période historique sont encore réticents
à utiliser ces méthodes ; ce qui
est fort dommage, car la pluridisciplinarité
enrichit le discours scientifique. Même sans abuser
de lethnoarchéologie, des modèles
sociaux et politiques contemporains peuvent trouver
un écho dans les modèles antiques.
Traiter
un tel sujet implique de surmonter deux obstacles majeurs.
Le premier est de constituer un échantillonnage
significatif des pays, des contrées et des régions
étrangères qui ont entretenu des contacts
avec lÉgypte entre 2500 et 1700/1650
av. J.-C. Le choix a été établi
en fonction des toponymes mentionnés dans les
sources écrites égyptiennes et des recherches
de terrain effectuées sur les sites correspondants.
Bien souvent, les travaux archéologiques sont
trop partiels, incomplets et obsolètes. Un effort
particulier est alors à fournir pour reconsidérer
ces données.
La
deuxième difficulté est inhérente
au cadre temporel, car il sagit de faire concorder
les chronologies relatives des cultures locales à
la chronologie absolue. Les nouvelles recherches dans
ce domaine, ont permis de circonscrire la culture et
la chronologie du début du Bronze moyen (cir.
2000-1800 av. J.-C.). Pour lensemble du Bronze
moyen, cet ajustement a pu être effectué,
pour lessentiel, grâce aux recherches de
Manfred Bietak à Tell el-Daba, recherches
qui ont permis détablir des correspondances
chronologiques entre les cultures de la Syrie côtière,
de la Palestine et lÉgypte.
ARTICULATION
Lenquête
a porté sur trois points principaux. Le premier
de ces points est une tentative de redéfinition
du terme « État ». Depuis
le XVIIe siècle, ce terme commun de la langue
française est étroitement associé
à la notion de nation. LÉtat-nation
sous-entend un territoire géré par un
pouvoir centralisé - les gouvernés et
les gouvernants ayant une communauté dorigine,
dhistoire, de murs, et, souvent, de langue.
Par opposition à lÉtat-nation, modèle
politique contemporain, les auteurs désignent
les pouvoirs politiques de lAntiquité sous
lappellation « dÉtats
primitifs ou archaïques ». En ce qui
concerne les structures politiques asiatiques et nubiennes,
voisines de lÉgypte, la dénomination
de « pouvoir » ou « dentité »
politique est plus appropriée. En effet, les
traces archéologiques permettent de constater
lexistence dune grande variété,
allant du village acéphale au royaume gérant
un territoire assez large, en passant par la chefferie
- ou entité politique régionale - et par
la cité-État, qui a un développement
territorial de 20 hectares environ.
En
conclusion, lanalyse du terme « État »
et ses applications archéologiques peut se résumer
ainsi : les entités qui se sont développées
au nord sont à considérer comme des cité-États,
avec deux pôles majeurs : Ebla, en Syrie du Nord
- qui gérait les relations avec la Syrie intérieure
et la Mésopotamie -, et Byblos, jouant le rôle
de relais commercial entre lÉgypte et les
contrées de Syrie intérieure et septentrionale.
Au
sud de lÉgypte apparaissent dabord,
à la fin de lAncien Empire, une coalition
de chefferies en Basse Nubie, le pouvoir de Iam - en
amont de la troisième cataracte - et la chefferie
pountite à lest du Soudan. Puis, au cours
du Moyen Empire, se développe le royaume de Kerma,
tandis que la Basse Nubie fait de la résistance
passive à la colonisation égyptienne.
Les
deuxième et troisième points de notre
enquête sont, dune part, létude
des flux matériels et des relations diplomatiques
entre lÉgypte et ses voisins asiatiques
et nubiens et, dautre part, létude
de lactivité militaire égyptienne
à létranger. Les relations économiques
égyptiennes, du reste, semblent indissociables
de la politique menée par les pharaons.
Lusage
du terme inw - produits importés - implique de
véritables échanges commerciaux, alors
que celui de bAkw - taxes - illustre lexploitation
des territoires occupés. Les pouvoirs politiques
asiatiques et les royaumes de Iam et de Kouch sont ainsi
de véritables partenaires commerciaux, alors
que les Égyptiens ont exploité à
leur unique profit les ressources minérales et
humaines de Basse Nubie. La région entre la première
et deuxième cataracte et le Sinaï ont joué
le rôle de zone tampon, où les Égyptiens
ont exploité les ressources locales.
En
ce qui concerne lactivité militaire, la
prédilection des Égyptiens pour le sud
est attestée depuis les plus hautes époques.
À lAncien Empire, cette activité
sexprime par des razzias et des campagnes punitives
plutôt que de véritables guerres. Dès
le début du Moyen Empire, lactivité
militaire est majoritairement menée contre le
pouvoir kouchite - avec son centre majeur Kerma -, en
amont de la troisième cataracte, qui représente
la principale menace étrangère.
En
revanche, peu dexpéditions militaires égyptiennes
sont attestées au nord et à lest.
À lAncien Empire, il semble que les Égyptiens
mènent des campagnes en Palestine méridionale,
mais il faut attendre le Moyen Empire pour quune
campagne militaire soit menée en Palestine, à
Sechem, cité fortifiée aux Bronze moyen
I et II (cir. 2000-1650 av. J.-C.).
UN
SUJET ÉVOLUTIF
Une
des particularités de ce sujet est que nos connaissances
évoluent en permanence. Il est à préciser
que, bien quayant tenté de constituer la
bibliographie la plus exhaustive possible, de nouvelles
découvertes, de nouveaux résultats et
de nouveaux axes de recherche sont parus au cours et
depuis la fin de ce travail.
Par
ailleurs, quelques conclusions sont à nuancer
et je tiens à apporter quelques précisions
issues des nouvelles découvertes faites en Syrie.
CONCLUSION
DE LENQUÊTE
Le
bilan proposé est le suivant : lÉgypte
a adapté ses modes de relation aux pouvoirs politiques
quelle rencontrait. Au sud, en amont de la IIe
cataracte, les formes politiques sont plutôt unifiées,
et exercent une influence territoriale assez vaste,
alors quau nord et à lest, nous sommes
confrontés à une mosaïque de cités-États
à linfluence territoriale variable, au
rôle plus ou moins important. Les deux centres
commerciaux majeurs asiatiques sont Ebla, en Syrie du
Nord, et Byblos, emporium égyptien sur la côte
libanaise. Ceci conditionne donc des relations de partenariat
entre lÉgypte, la Palestine et la Syrie
côtière.
Les
relations égyptiennes avec la Syrie intérieure
sont indirectes, et Ebla joue un rôle de relais.
En revanche, les Égyptiens entreprirent une politique
de colonisation en Basse Nubie et dans la région
du Batn el-Hagar, où les colons et les autochtones
vivaient les uns à côté des autres
et entretenaient peu de contacts. Lactivité
militaire égyptienne menée dans le sud,
contre le pouvoir kouchite, annonce la politique expansionniste
du Nouvel Empire que les Égyptiens développeront
non seulement jusquà la quatrième
cataracte, mais aussi en Palestine et Syrie.
Aminata
Sakho-Autissier, membre de la mission archéologique
française de Sédinga (Soudan), CNRS-URA
995.