INTERVIEWS

MICHEL VALLOGGIA, EGYPTOLOGUE ET INGENIEUR

Les doubles formations sont toujours utiles. Les compétences techniques de Michel Valloggia lui ont permis de venir à bout des difficultés d’Abou Roach. Thotweb a rencontré cet égyptologue suisse lors d’un de ses passages à Paris.

- Comment vous est venue la vocation de l'égyptologie ?

Cela a commencé au lycée, au début d'un cours d'allemand. Dans la salle, il y avait écrit au tableau « Biban el-Moulouk ». Un des élèves demanda ce que cela signifiait. « Si quelqu’un le sait, je lui donne une bonne note », répondit le professeur. « C'est le nom de la Vallée des Rois », ai-je dit. A la fin du cours, il m'a demandé si je m'intéressais à l'Egypte. J’avais déjà lu deux ou trois bouquins, et je lui ai fait part de mon désir d’apprendre à lire les hiéroglyphes. Alors j'ai étudié quelques leçons de la grammaire de Gardiner avec lui. Plus tard, il m'a mis en contact avec Charles Maystre.

Par tradition familiale, mes parents voulaient que je devienne ingénieur civil, ce que j’ai fait. Mais parallèlement, j'ai étudié les Lettres et l'Egyptologie. J'ai fait de l’Egyptologie avec Charles Maystre, de l’Assyriologie et du latin. J’ai eu la chance de recevoir une bourse du CNRS suisse, et je suis venu à Paris, à l’EPHE. J'ai suivi les cours de G. Posener, de J.J. Clère, de Madame Helloin de Cenival, de J. Yoyotte et de J. Leclant. Alors, j'ai commencé ma thèse avec G. Posener et J.J. ClèreRecherche sur les "messagers" (wpwtyw) dans les sources égyptiennes profanes »). Après 4 ans, je l'ai soutenue à Genève ; Charles Maystre fut président du jury. G. Posener m'a proposé de faire imprimer mon manuscrit à l’Ecole Pratique, ce qui m'a valu le diplôme de l’Ecole, et m'a permis d'être nommé pensionnaire à l’IFAO.

J'y suis resté une année. A l'époque, S. Sauneron en était le directeur. Il m’a proposé, juste avant sa mort, de passer une année de plus à l'IFAO.

Quand je suis rentré en Suisse, il n'y avait pas de travail pour un égyptologue. J’ai enseigné le français et l'histoire au lycée, durant 8 ans. Heureusement, parallèlement, j’ai été chargé d’un cours de hiératique à l'université de Genève. En 1988, suite au décès de R. Hari, qui avait enseigné une dizaine d’années après le retrait de Charles Maystre, on m'a demandé de prendre la direction de la chaire d’Egyptologie.

Voilà pour le cursus académique. En ce qui concerne mes premières fouilles, il faut mentionner Balat. Quant j’étais pensionnaire de l’IFAO, un jour, Jean Vercoutter a réuni les archéologues pour savoir qui voulait se charger de ce chantier. Tous hésitaient, parce que personne n'avait fouillé des structures de brique crue. J’avais déjà travaillé sur ce matériau en Syrie, et j'ai dit que j'étais intéressé. J’ai donc été chargé de ce chantier de 77 à 93.

Logo de l'université de Genève- Quelles sont les orientations actuelles de vos recherches ?

Passionné par l’époque de l'Ancien Empire, j’ai aussi toujours été attiré par le hiératique. Je me suis occupé notamment des papyrus égyptiens conservés dans les collections suisses. Henri Wild, dont j’ai fait la connaissance au Caire, avait l'ambition de faire un immense corpus de tous les objets égyptiens conservés en Suisse. Il m’a confié ce dossier sur lequel je travaille et que j’espère bien publier dans l’avenir. Lorsque Nicolas Grimal, qui est un ami de longue date, est devenu directeur de l’IFAO, j’ai souhaité fouiller à Abou Roach. Il m’a donc mis à disposition la logistique de l’IFAO. La mission est franco-suisse : tout ce qui est technique (restauration d'objets, dessins...) est fait par l’Institut ; mon équipe fournit un topographe et des archéologues. Chaque année j’associe deux étudiants au chantier.

E. Chassinat, au début du siècle, s’était heurté à la présence de blocs de 10-15 tonnes qui obstruaient la descenderie et le puits dans lequel l'appartement funéraire était construit. J'ai donc loué une grue de 80 tonnes. Nous avons fait construire une rampe d'accès contre la base de la pyramide pour y faire monter la grue et extraire les blocs.

De plus, des parois d’une dizaine de mètres apparaissaient. Elles étaient d’un calcaire très fragile, et l’ensemble était assez branlant. J’ai alors fait venir des alpinistes de Genève. Venus avec bottes, casques et marteaux, ils ont fait tomber ce qui menaçait.

- Vous êtes professeur et archéologue de terrain, est-ce facile de concilier les deux ?

Je trouve que c’est important. J’apprécie beaucoup l’enseignement et le contact avec les étudiants. Je pense que c’est très stimulant. D’un autre côté, je n’aimerais pas faire que cela. J’aime bien travailler sur le terrain, visiter des chantiers, rencontrer des collègues. Je pense que c’est complémentaire.

- Quelles sont les perspectives pour les étudiants en Egyptologie en Suisse ?

J’incite sérieusement les gens à prendre une autre discipline en marge de l’égyptologie. J'ai eu, quant à moi, de la chance, parce que j'étais d'une génération où il y avait encore peu de candidats, mais maintenant c'est vraiment difficile. Si Bâle fermait la chaire d’égyptologie (pour des raisons financières), la situation deviendrait catastrophique en Suisse.

- Auriez-vous une anecdote de fouilles à raconter à nos lecteurs ?

A Balat, il y a eu des enterrements tardifs romains qui ont livré plus d'une centaine de squelettes. Une année, un anthropologue polonais est venu les étudier. Il alignait les ossements à l’intérieur de la maison de fouilles. Pour gagner nos quartiers, nous devions donc passer par une allée bordée par deux rangées de crânes...

Un jour à l’heure du déjeuner, nous étions déjà tous à table, mais l'anthropologue n’était pas arrivé. Le temps de s’inquiéter, il fit irruption dans la pièce. Il avait un de ces sourires ! On sentait une découverte dans l'air... Quelqu’un lui a demandé :

- Mais alors, professeur, vous avez sûrement quelque chose à nous raconter !

On était tous en train de manger notre potage. Alors, avec son accent inimitable, il répondit :

- Ah, les enfants, vous ne vous rendez pas compte, vous ne vous rendez pas compte... Ce que j’ai trouvé, c’est fantastique !

Nos cuillères restaient suspendues...

- Mais qu'est-ce que vous avez trouvé?

- Vous ne vous rendez pas compte... Ce matin, enfin, j’ai trouvé... deux lépreux ! »

 

Entretien réalisé par Matilde Borla, Yannis Gourdon, Johann Renard-Templier et Renaud de Spens

Nouveautés
© Renaud de Spens, 2000