La
généalogie, la science qui a pour objet la recherche
de l’origine et de la filiation des familles, constitue
un axe important de recherche dans le domaine de l’égyptologie.
La liste des rois telle que rapportée par Manéthon,
la découverte au milieu du XIXe siècle des stèles du
Sérapéum et, cinquante ans plus tard, de centaines de
statues dans la Cour de la Cachette du temple
de Karnak, ont très tôt fourni aux spécialistes la matière
première dont ils avaient besoin pour établir l’arbre
généalogique des dynasties royales et de certains clans
qui se sont distingués pendant l’histoire de l’Égypte
ancienne. La présente contribution vise simplement à
présenter quelques considérations pratiques sur la généalogie
comme moyen d'investigation en égyptologie, en puisant
des exemples dans les sources royales et, dans une moindre
mesure, privées.
Force
est de constater que tout travail relatif à la généalogie
repose en grande partie sur la terminologie de parenté
qui, en Égypte ancienne, se réduit essentiellement à
qualifier les membres appartenant au noyau familial,
à savoir le père (it),
la mère (mwt), le
frère (sn), la soeur
(snt), le fils (sA),
la fille (sAt),
ainsi que l’épouse (Hmt)
et l’époux (TAy).
Les travaux de D. Franke, G. Robins et L. Troy, entre
autres, ont permis d’établir que cette terminologie
est également utilisée pour décrire la parenté éloignée
(les termes sont alors susceptibles d’être combinés)
et peuvent même, dans certains cas, prendre une valeur
métaphorique ou figurée. À titre d’exemple, le mot it
désigne plus largement « le grand-père » et « l’ancêtre » ,
alors que métaphoriquement, il peut qualifier quelqu’un
qui incarne l’autorité comme le maître d’école ou le
supérieur hiérarchique, dans le cadre d’un métier.
Par
voie de conséquence, une des difficultés majeures dans
l’élaboration d’arbres généalogiques réside dans la
définition du champ sémantique auquel se rattache
un terme de parenté. Il est ainsi tentant de se servir
de la formule dédicatoire du type ir.n.f
m mnw.f n it.f « c'est pour son père qu'il a
construit son monument » comme indice de filiation réelle,
alors que le terme « père » dans le cas présent doit
être compris dans son sens large ou faire allusion à
une filiation divine.
Toujours
dans le domaine royal, les titres tels que « fils de
roi » ou « sœur de roi » s’avèrent tout aussi pernicieux
pour déterminer des liens familiaux réels, car ils répondent
dans une certaine mesure à des critères d’ordre politique
et religieux. Le titre « fils aîné du roi » , par
exemple, a une valeur institutionnelle et se rapporte
généralement au prince héritier destiné à succéder au
roi. Bien que cette fonction revienne de fait souvent
au plus âgé des fils du pharaon, il est difficile de
le prouver de façon systématique, surtout lorsque le
titre est conféré a posteriori. Notons aussi
plusieurs cas, répertoriés surtout à la Seconde Période
Intermédiaire, de « fils de roi » qui prétendent ouvertement
être issus de simples particuliers. Enfin, le fait que
le titre « frère de roi » n’est régulièrement attesté
qu’à partir de la XXVe dynastie met en évidence l’importance
des considérations politiques dans le mode d’attribution
des titres royaux de parenté.
Dans
un autre ordre d’idées, le phénomène de juxtaposition
des noms à l’intérieur d’un cartouche est parfois
employé comme marque de filiation pour certains rois
de la XIIIe dynastie. Dans ce cas, le nom dans un cartouche
qui figure en première place est considéré comme celui
du père du pharaon dont le nom à la naissance est alors
placé en seconde position. Malheureusement, d’autres
raisons, telle la volonté d’affirmer une double identité,
peuvent expliquer l’usage de la juxtaposition des noms.
L’uniformité
des noms propres en Égypte ancienne, choisis suivant
la mode du moment, constitue un autre obstacle non négligeable
à l’étude prosopographique d’une famille. Ainsi,
lorsque le même nom est attesté dans plusieurs documents,
à combien de personnes a-t-on affaire ? Cette tâche
est d’autant plus ardue, que le nom d’une personne semble
parfois associé à une fonction particulière. Ainsi,
au cours de la XVIIIe dynastie, un nombre difficile
à évaluer de grands prêtres de Memphis portèrent le
nom de Ptahmose, alors qu’à la XXIe dynastie, la fonction
de grand prêtre de Mout échoyait souvent à des hommes
qui s’appelaient Ankhefenmout.
À
l’inverse, il arrive aussi qu’une même personne change
de nom à quelques reprises au cours de sa vie, comme
ce fut le cas du fils aîné de Ramsès II qui prit successivement
les noms d’Amonherwenemef, puis d’Amonherkhepeschef,
et voire celui de Sethiherkhepeschef !
Comment,
compte tenu de ces difficultés, dresser avec un minimum
de crédibilité la généalogie d’une famille?
Certaines
constatations peuvent servir de base à une telle entreprise.
Le critère le plus fiable d’une filiation directe, à
de rares exceptions près, est l’emploi de l’expression
ir.n/ms.n « qu’a
engendré/qu’a mise au monde (X/Y) » qui peut suivre
le nom d’un personnage. Cette coutume n’est malheureusement
répandue qu’à certaines époques, surtout au cours des
périodes intermédiaires.
Dans
l’iconographie royale du Nouvel Empire, la représentation
d’un prince en compagnie d’un roi et/ou d’une reine
semble être un moyen généralement sûr pour faire des
uns les parents de l’autre. À titre d’exemple, plusieurs
textes établissent avec certitude qu’Isisnofret, la
grande épouse de Ramsès II, était la mère de Khâemouaset.
Or, lorsque ce fils de pharaon est représenté aux côtés
d’une reine, aussi bien dans la statuaire que dans le
bas-relief, il est toujours accompagné d’Isisnofret,
et non pas de Nefertari ou Maâthorneferouré, deux autres
épouses du grand pharaon de la XIXe dynastie.
Lorsqu’un
prince porte le titre de sA
nsw n Xt.f « le propre fils de roi », on peut
considérer là aussi qu’il s’agit d’un véritable fils
du roi, du moins pour les XVIIIe-XXe dynastie. Le problème
dans la plupart des cas est de savoir de quel pharaon
le prince est le fils. Or, il faut attendre la Troisième
Période Intermédiaire pour que soit précisée l’identité
du roi de qui un prince est issu.
Enfin,
une des façons les plus évidentes de s’assurer qu’un
souverain est bien le fils de son prédécesseur est de
trouver des attestations de ce roi en tant que prince
au cours du règne précédent. Ainsi, la mention
d’ « un fils de roi Amenhotep » dans le palais d’Amenhotep
III à Malgata semble bien désigner le futur Amenhotep
IV (Akhénaton),
de la même manière que le bloc d’Hermopolis qui cite
« le propre fils de roi Toutânkhaton » fait référence
au pharaon qui succédera à Akhenaton sous le nom de
Toutânkhamon. Toute règle souffrant d'exceptions, le
roi Sahathor de la XIIIe dynastie est représenté en
sA nsw pendant le
règne de son prédécesseur Neferhotep Ier, alors qu'il
s'agit de son frère.
En
guise de conclusion, ce très bref tour d’horizon donne
un aperçu de quelques problèmes auxquels sont confrontés
les égyptologues lorsqu’ils tentent d’élaborer l’arbre
généalogique d’une famille, et de certains expédients
employés y remédier. Il convient cependant de reconnaître
que nous en sommes souvent réduits à des conjectures
lorsqu’il s’agit d’établir avec certitude l’arbre généalogique
complet d’une famille, au point de se demander quelle
importance les Égyptiens eux-mêmes accordaient à ce
genre d’exercice.