I/
Eléments culturels
- noms et filiation
Les
Egyptiens n'ont pas de nom de famille. Les prénoms
sont souvent choisis pour faire honneur à un dieu,
ou un roi. Ahmès, le dédicataire de l'inscription
étudiée, a le même prénom que le
premier roi de la XVIIIe
dynastie (que l'on peut aussi retranscrire Ahmosis ou Ahmose).
A son époque, il doit avoir de très nombreux
homonymes. C'est pourquoi la mention de la filiation est si
importante. L'usage de cette période est de fournir
le nom de la mère (à d'autres périodes,
c'est plutôt le nom du père qui est indiqué).
-
titres et fonctions
Mais
un autre élément est encore plus important :
le titre. Le titre a pour vocation principale d'indiquer
la position sociale de l'individu. Il est rare qu'il soit
omis, du roi au simple paysan. Celui d'Ahmès est un
mot composé : Hry
signifie "celui qui est en haut" (noter le déterminatif
du ciel), et Hnyt
veut dire "matelots, marins" (il s'agit d'un terme
grammaticalement au singulier mais au sens pluriel, que l'on
pourrait aussi traduire par "le groupe des matelots",
noter le signe représentant deux bras tenant une rame,
qui possède à la fois une valeur idéographique
et phonétique, et le déterminatif du pluriel).
Les
titres sont souvent difficiles à traduire, car il n'y
a que peu de correspondance entre les fonctions exercées
en Egypte ancienne et celles de la société contemporaine.
Ainsi, certains auteurs ont traduit le titre porté
par Ahmès "amiral". Toutefois, le rang de
notre marin a vraisemblablement été plus modeste
que celui dont bénéficie un amiral aujourd'hui.
Pourrait-on traduire "capitaine", alors? C'est une
question de choix personnel. Néanmoins, il est peut-être
plus sage de recommander une traduction proche du texte (car
ainsi, les lecteurs qui s'y connaissent comprendront immédiatement
quel est le terme égyptien employé), et c'est
pourquoi je propose "supérieur des marins".
-
les autobiographies
L'autobiographie
est un genre fort commun de la littérature égyptienne.
Il s'agit d'inscriptions, le plus souvent sur les murs du
tombeau ou sur des statues, destinées à montrer
les qualités du défunt et prolonger son souvenir
dans la mémoire des hommes. Ce ne sont pas des introspections,
elles ne font pas la place à l'expression du doute
: elles ressemblent ainsi à nos épitaphes, en
plus développées. Cependant, au delà
des stéréotypes, elles peuvent être extrêmement
informatives. Ainsi, l'autobiographie
d'Ahmès fils d'Abana est l'une des sources
les plus importantes pour l'histoire de la fin de la guerre
contre les rois hyksôs.
-
"juste de voix"
La
formule "juste de voix" (maAt
xrw, parfois traduite aussi "justifié(e)")
fait référence à la justification du
défunt devant le tribunal d'Osiris, qui lui permet
de vivre dans l'au-delà. Sous la XVIIIe
dynastie, on utilise cette formule pour indiquer que la personne
nommée est décédée.
-
le pluriel par répétition du signe
Au
lieu d'utiliser les trois traits du déterminatif du
pluriel, l'égyptien permet parfois de répliquer
trois fois un signe pour mettre au pluriel le mot qu'il exprime.
II/
Analyse grammaticale
- première phrase
Hri
Xnyt IaH-ms sA IbAnA mAat-xrw Dd.f
On peut la décomposer en trois éléments
: le sujet, le verbe, le pronom qui rappelle le sujet.
Comme
dans la plupart des autobiographies, on commence par donner
le titre et le nom du dédicataire (le sujet grammatical),
un peu comme on donnerait un titre, un label, à un
texte.
Vient
ensuite la forme verbale verbe+pronom suffixe de la troisième
personne du singulier. Littéralement, on pourrait restituer
deux phrases, la première sans verbe : "Le supérieur
des marins, Ahmès, fils d'Abana, juste de voix. Il
parle". Si l'on désire traduire dans un français
plus naturel, il vaut mieux faire une seule phrase, dans laquelle
le pronom est escamoté ("Le supérieur des
marins, Ahmès, fils d'Abana, juste de voix, déclare
:"). Si l'on veut tenter de rendre l'emphase perceptible
dans le texte égyptien, on peut proposer : "C'est
le supérieur des marins, Ahmès fils d'Abana,
juste de voix, qui parle". Dans cette dernière
traduction, la construction impersonnelle "c'est [+sujet]
qui [+verbe]" est presque l'équivalente de la
formule égyptienne avec pronom personnel "de rappel"
du sujet.
N.B.
Le verbe Dd
peut se traduire, suivant les cas, par "dire", "parler",
"déclarer", "raconter". Il marque
souvent le passage au discours direct.
- deuxième phrase
Dd.i
n.tn rmT nbt
Il s'agit d'une phrase verbale simple à trois éléments
: verbe - sujet - complément d'objet.
Le
sujet est pronominal (voir leçon
1), et le complément d'objet est indirect,
introduit par la préposition
n,
"à". Le complément contient une apposition
(pronom suffixe de la deuxième personne du pluriel,
auquel est apposé un substantif et son adjectif). Littéralement,
la traduction est : "je parle à vous, tous les
hommes". Cependant, pour une meilleure traduction, il
faut se pencher sur la phrase suivante, qui en égyptien
est liée.
Cette
phrase permet aussi de montrer l'utilisation de l'adjectif
épithète. Celui-ci doit être placé
directement après le nom qu'il qualifie. Il s'accorde
avec lui en genre et en nombre, mais cette règle connaît
quelques exceptions. Ainsi, dans notre phrase, le mot semble
être au pluriel et l'adjectif au féminin. En
fait, rmT
a un sens pluriel, collectif (l'humanité), et c'est
pour cela qu'il possède les trois traits du pluriel,
mais est grammaticalement un singulier (c'est également
le cas pour le terme
Xnyt, "marins", cité plus
haut). Dans ce cas-là, l'égyptien considère
le mot comme grammaticalement féminin.
- troisième phrase
rdi.i
rx.tn Hswt xprt n.i
C'est la plus complexe de la série puisqu'elle est
composite. Une forme simple verbe - sujet - complément
contient en son complément une deuxième phrase
verbale verbe - sujet - complément, et ce dernier complément
est une forme relative référent - verbe - sujet.
Reprenons
lentement. Le premier modèle est du type "rdi+sujet+phrase".
Le verbe rdi
signifie "faire que" (anglais "let", allemand
"lassen") lorsqu'il est suivi d'une phrase.
La
deuxième forme est déjà connue : verbe,
sujet, complément. C'est ce complément qui contient
un nouveau type : une phrase relative elle-même composée
d'un substantif ayant fonction de référent (Hswt),
d'un verbe "adjectivé" au féminin
(xprt),
pourvu du suffixe de l'accompli (n),
et du sujet (i).
Qu'est-ce
qu'une phrase relative ? En fait, il s'agit d'un énoncé
qui qualifie un nom, de la même manière qu'un
adjectif. En français, il faut utiliser un pronom relatif
comme "que" ou "qui". En égyptien,
on se contente d'une simple apposition. Le verbe est transformé
en adjectif. C'est pour cela qu'il possède un genre,
féminin dans cet exemple.
En
outre, le verbe xprt
est ici suivi du suffixe "n".
Ce suffixe indique que l'action est accomplie. Attention,
l'égyptien n'a pas du tout le même système
que les langues occidentales pour rendre la notion du temps.
Les conjugaisons des langues latines et anglo-saxonnes s'attachent
d'abord à positionner l'action dans le temps (passé,
présent, futur), alors que l'égyptien s'intéresse
surtout à l'aspect accompli ou en cours de l'action
(dans sa logique interne, non dans une échelle absolue
du temps) et à sa durée, le "temps"
étant déterminé par le contexte. La traduction
d'un texte égyptien suppose donc une adaptation.
Dernière
difficulté de cette phrase : la traduction du verbe
"xpr".
Le sens premier est "devenir", mais son champ lexical
est beaucoup plus riche. Il indique une transformation, un
évènement, un changement d'état. Dans
notre exemple, il est transitif (traduction littérale
: "les louanges que j'ai devenus"). Il convient
donc de trouver une formule impersonnelle en français.
La traduction "les louanges qui me sont arrivés"
reflète le sens, mais contient une faute de style.
On est donc obligé de traduire quelque chose comme
"les louanges qui m'ont été adressés"
ou "les louanges que j'ai obtenus".
Enfin,
il faut aussi comprendre que cette phrase est liée
avec la précédente dont elle constitue la
conséquence. En français, il est plus naturel
de le souligner, et je propose la traduction suivante pour
les deux phrases :
"Je
m'adresse à vous, toute l'humanité, pour vous
faire savoir les louanges que j'ai obtenus".
Bon
courage dans votre apprentissage !
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17/6/02
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