Rê, alias Râ, Re, Ra, Phre "Le soleil". |
Rê, le dieu soleil, est l'archétype du dieu suprême en Egypte ancienne. Mais sa mythologie et ses transformations le rapprochent de la destinée humaine. L'homme, en retour, aspire aussi à s'y assimiler.
Le support du pouvoir royal
C'est au cours de la IIe dynastie que Rê apparaît dans la documentation archéologique subsistante, à travers l'onomastique. Le deuxième souverain de la IIe dynastie a ainsi Nebrê ou Rêneb comme nom d'Horus (vers 2800 avant notre ère).
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Le règne du roi Djéser (ca. -2670), deuxième souverain de la IIIe dynastie, témoigne du développement de son culte. Alors que ses prédécesseurs étaient enterrés dans des superstructures rectangulaires, les mastabas, le roi se fait en effet construire une pyramide, symbole de l'ascension de l'astre solaire. Un de ses contemporains porte également le nom d'Hésyrê, qui signifie à peu près "honoré par Rê".
Mais c'est surtout durant la IVe dynastie que les rois promeuvent une idéologie solaire qui renforce leur statut. Khéops bâtit la célèbre grande pyramide, et ses successeurs Djedefrê, Khephren (alias Khâfrê) et Mykérinos (alias Menkaourê) ont tous un nom de cartouche composé avec Rê. Djédefrê est également le premier à utiliser l’épithète « fils de Rê », qui devient bientôt un élément régulier (Ve dynastie), puis indispensable de la titulature royale.
On ne sait pas avec certitude quelle est l'origine géographique du culte de Rê. Mais il s'implante très tôt à Héliopolis (Iounou) où il fusionne avec Atoum, le dieu créateur, personnification de l'être et du néant. Et c'est à Héliopolis que se développe une théologie qui a pour vocation la légitimation et la déification du pouvoir royal. Pour cela, il reprend également le plus ancien mythe de la royauté d'Horus, qui était peut-être le premier dieu soleil (ou dont l' œil était le soleil). C'est ainsi qu'apparaît sa forme de Rê-Horakhty (Rê-Horus-des-Deux-Horizons).
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Un conte du papyrus Westcar narre comment un devin annonce au roi Khéops qu'une nouvelle dynastie va naître (la Ve). Rê sera le père de ses premiers souverains, et leur mère sera l'épouse d'un prêtre d'Héliopolis. C'est le principe de la théogamie, par lequel les rois pourront désormais se dire de sang divin.
La théologie héliopolitaine s'épanouit effectivement sous la Ve dynastie. Plusieurs temples solaires sont construits, dont celui de Nyouserrê est le plus connu. Bientôt, on commence aussi à graver les "textes des pyramides" dans les appartements funéraires des rois. Ces textes constituent l'un des corpus religieux les plus anciens. Ils ont pour principal objet d'identifier magiquement le roi défunt au soleil, afin qu'il puisse renaître comme celui-ci, et bénéficier d'une vie stellaire éternelle.
Après les troubles de la Première Période Intermédiaire, la réunification de l'Egypte est l'œuvre d'une famille thébaine dont le dieu patron est Amon, divinité locale alors peu importante. La nouvelle dynastie fusionne l'antique légitimité solaire avec la nouvelle légitimité tirée de leur victoire en créant le syncrétique Amon-Rê, roi des dieux, dieu dynastique et suprême.
Rê, et les concepts autour de la royauté solaire sont devenus tellement utiles au pouvoir, que sa mythologie tend à tout englober.
Une mythologie universaliste
Comme pour tous les dieux égyptiens, ses mythes ont de nombreuses variantes, non exclusives mais explicatives.
Ainsi, son origine peut prendre plusieurs formes. Selon la théologie héliopolitaine, le dieu Atoum, en venant à l'existence par lui même dans l'océan primordial du Noun, se transforme en Rê (cf. le chapitre XVII du Livre des Morts). Sur le premier tertre émergeant du Noun se pose le premier rayon du soleil, symbolisée par la pierre Benben, dont la forme est celle d'un obélisque. Sous l'apparence du héron Bénou (le "phénix" égyptien), il prend son envol et éclaire le monde.
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Dans la théologie hermopolitaine, le soleil est né d'un œuf initial déposé par une oie (ou un ibis), et émerge du lotus primordial, en sa forme de Khepri. Le tertre sur lequel se trouve le lotus s'illumine alors. Les Egyptiens l'appellent l'Ile de l'Embrasement.
C'est pourquoi Rê a comme notamment comme épithètes "Celui qui est venu à l'existence de lui-même", (kheper djes-ef), "L'aîné du ciel et de la terre" (semsou em pet ta), et "Père des dieux" (it netjerou). L'anniversaire de sa naissance est le début de l'année égyptienne (mésout-rê, le premier jour du premier mois de la saison d'akhet).
Il crée l'air (Shou) et la chaleur/ moiteur (Tefnout), qui eux-même engendrent la terre (Geb) et le ciel (Nout), parents de nombreux dieux. Les hommes sont ses larmes (hommes et larmes ont une prononciation similaire en égyptien).
Sa fille Tefnout est aussi son œil, personnification de la flamme, l'aspect dangereux du soleil. D'abord partie au loin de son père, elle revient et se métamorphose en cobra dressé qui se fixe à son front (l' uræus - ce sont les mythes de "l'Oeil du soleil" et de la "Déesse Dangereuse"). Sous cet aspect brillant et puissant, Rê règne sur la terre, devenant le premier souverain des hommes.
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Cependant, contrairement à ce que l'on pourrait attendre d'un dieu démiurge et omnipotent, Rê vieillit, comme le raconte le "Livre de la Vache du Ciel". En résultat, les hommes se révoltent. Sa fille les réprime, et entreprend de les annihiler. Mais Rê met fin au génocide de son "troupeau". Puis il décide de lui-même de gagner les cieux, sur le dos de la grande vache céleste.
Désormais, il règne sur le ciel, qu'il traverse dans sa barque. Khépri est sa forme à son lever, et Atoum celle de son coucher. Le zénith est représenté par Rê-Horakhty, soit Rê-Horus-des-Deux-Horizons (ou Rê le faucon des Deux Horizons). Les Deux Horizons, c’est à la fois le lever et le coucher, et l’horizon du monde et celui de la Douat (l’Au-Delà).
Car il est avalé par Nout (la voûte céleste) pendant la nuit. Son trajet nocturne, dans la Douat, est dangereux : il doit triompher du serpent Apophis pour pouvoir renaître par l’utérus de Nout.
Maître de Maât (la vérité-justice, qui est sa fille), il préside au tribunal divin. Thot est son héraut et vizir.
Le symbole de la vie éternelle
Nout s'apprête à avaler le soleil. Louvre. |
La destinée cyclique du soleil, qui meurt chaque jour pour renaître chaque matin est une image qui attire l'homme, soucieux de la mort.
Les rituels funéraires royaux de l'Ancien Empire ont ainsi pour vocation d'assimiler le roi mort au soleil, afin qu'il puisse aussi renaître. Les formules des Textes des Pyramides se retrouvent, au Moyen Empire, dans les Textes des Sarcophages des particuliers, qui forment la base, au Nouvel Empire, du Livre des Morts.
L'espoir de cette renaissance solaire ne fait pas concurrence à la résurrection osirienne, mais la renforce. Rê, disent les textes, est une forme d'Osiris, et réciproquement. Quant il traverse la Douat dans la barque de la nuit, il prend la forme d'un bélier, hypostase d'Osiris à Mendès.
Lorsque après avoir triomphé de tous les dangers de la nuit, notamment de l'avalement par le monstre Apophis, Rê renaît au matin, le monde est recréé comme à la première fois. Le jeune enfant peut encore apparaître en jeune bélier, en transition avec le monde de la mort d'où il revient, mais aussi en jeune veau, fils de la déesse Nout, assimilée à Hathor, la grande vache céleste.
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A midi, Rê est un taureau qui s'unit à sa mère Nout (mythe du Kamoutef) afin de s'engendrer lui-même. Nout est par ailleurs à la fois la petite fille de Rê et la mère d'Osiris. La boucle est bouclée. Chaque jour est ainsi un éternel recommencement.
Iconographie et représentations
Comme dieu majeur, son iconographie, ses épithètes et ses hypostases sont particulièrement riches. Le livre des "Litanies de Rê" lui compte 74 formes différentes.
Rê est le plus souvent représenté avec une tête de faucon, conséquence de son assimilation avec l'ancien Horus en sa forme de Rê-Horakhty. Le faucon est l'un des animaux volant le plus haut dans le ciel, et personnifie donc le mieux les divinités célestes pour les anciens Egyptiens. La nuit, il prend une tête de bélier aux cornes torsadées (probablement en référence au bélier d'Osiris à Mendès) et de couleur verte (symbole de régénération).
Il porte parfois une tête humaine. On le trouve en enfant nu, sortant du lotus primordial, en adulte ou en vieillard (courbé, assimilé à Atoum).
Il peut avoir un corps momiforme dans des contextes funéraires d’association à Osiris.
On le trouve couramment dans sa barque (la Mândjet, sa barque diurne, ou la Meseketet, sa barque nocturne, qui peut se transformer en serpent à deux têtes), accompagné de dieux protecteurs.
Le jeune veau, le phénix Bénou, le faucon doré, le palmier, le pilier ioun, le lotus bleu (Néfertoum), le scarabée (pour sa forme de Khépri), le taureau, le chat, le cobra dressé (uræus), la couronne atef et le némes, les obélisques et pyramidions, et bien sûr le disque solaire (Aton) lui sont associés. Et parmi les matériaux, l’or, la malachite, le quartzite rouge...
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A Héliopolis, centre de son culte, le taureau noir Mnévis (mr-wr) lui était consacré.
12/12/05-12/12/2005, Renaud de Spens.
Rê-Horakthy sur la stèle de la dame Tapéret. Louvre E 52. | Rê-Horakhty-Atoum sur la stèle de Padiisis. Louvre N 3795 . | Rê avec la plume de Maât. Louvre. |
Papyrus de Nedjmet, XXIe dynastie. Louvre. | Rê entre le ciel et la terre. Louvre E 17401. | |
Le soleil sort le matin entre deux sycomores sous la forme d'un jeune veau. Tombe de Sennedjem. | Scène à l'entrée du tombeau de Ramsès IX. Dans le disque qui se lève derrière l'horizon figurent Khepri, la forme du soleil levant, et Rê criocéphale, symbole du soleil attendant sa renaissance. |