Le
roi n’est pas un homme comme les autres. Les anciens Egyptiens
le considèrent comme choisi par les dieux. Ils lui reconstruisent
même une généalogie mythique pour faire de lui le fils des
dieux.
Un
mandat divin
La
source de l’autorité est en théorie la légitimité divine.
Le pouvoir de commandement et de coercition était exercé
par le dieu Rê aux temps mythiques où les dieux régnaient
directement sur la terre. Passé à Osiris, puis disputé entre
Horus et Seth, il est confié à un homme d’exception, le roi,
que les dieux sont censés couronner eux-mêmes, comme le montrent
les bas-reliefs.
Souvent,
à partir du règne de Thoutmosis
I, le roi ajoute dans un de ses cartouches l’épithète
« sétep-en-X » (stp-n-X), « élu du dieu
X ».
Ainsi,
le nom de couronnement de Ramsès
II se lit Ousermaâtrê - Sétepenrê (wsr-m3‘t-R‘
stp-n-R‘), « Puissante est la Justice de Rê – Elu
de Rê ».
Sélectionné
« parmi des millions d’hommes » pour hériter de
la royauté de Rê, le pharaon est aussi « le fils des
dieux », par le mythe de la théogamie (mariage
divin, en grec). La divinité s’est mystiquement incarnée
dans le père biologique du roi le jour de la conception, comme
l'expliquent les scènes de la naissance de la reine Hatshepsout
à Deir el-Bahari. De quel dieu s'agit-t-il? Le plus souvent,
c'est Amon-Rê, le roi des dieux. Mais d'autres divinités sont
aussi présentées comme pères ou mères du souverain dans des
contextes locaux. Le lien charnel n'est que la mise en
image d'un lien mystique.
Cette
« théocratie » (gouvernement divin) n’est
pourtant pas aussi absolue qu’elle le paraît.
Une
autorité limitée
Le
roi, comme les dieux, doit se conformer à une norme supérieure :
Maât. En outre, son administration exerce un rôle de conseil
et de contrepouvoir.
Le
concept de Maât, l’ordre cosmique, la vérité-justice, s’incarne
en une frêle déesse coiffée d’une plume d’autruche. C’est
la norme morale suprême. Son respect entraîne la survie de
l’âme. Son non-respect conduit à la destruction par la dévoreuse
lors du jugement des morts. Le rôle principal du roi est de
la faire régner. De nombreuses scènes le montrent en train
d’offrir Maât aux dieux. Maât constitue plus que la conservation
de l’ordre établi : elle implique le respect de la personne
humaine.
Le
conte du papyrus Westcar met en scène le roi Khéops et le
magicien Djédi :
Le roi Khéops et les magiciens. P. Westcar, 8,12-17.
Sa Majesté demanda : « Est-ce vrai ce que l’on
raconte, que tu sais recoller une tête coupée ? »
Djédi répondit : « Oui, je sais le faire, ô
souverain, vie, force, santé, mon seigneur ! »
Sa Majesté dit : « Que l’on amène un prisonnier
de la prison, et qu’on le mette à ta disposition afin
que tu l’opères. »
Djédi répondit : « Mais pas sur des hommes,
ô souverain, vie, force, santé, mon seigneur ! On
ne peut pas ordonner de faire une chose pareille sur le
noble troupeau [les êtres humains] ! »
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A
ce garde-fou philosophique, religieux et moral de l'autorité
s'ajoute une pratique consensuelle des prises de décisions.
Même
des souverains au pouvoir personnel particulièrement fort,
comme Thoutmosis
III ou Ramsès
II, passent par l'avis de leur conseil. C'est
clairement montré dans les récits de campagnes militaires.
Les rois écoutent leurs conseillers, même si, en tant que
seuls détenteurs du commandement ultime, ils ne sont pas tenus
de les suivre.
De
plus, les pharaons consentent de larges délégations de pouvoir
à certains hauts fonctionnaires. Ceux-ci, comme le grand prêtre
d'Amon-Rê de Karnak, sont en théorie nommés par le roi, mais
obtiennent souvent le privilège de passer leur charge à leur
fils. Il se constitue donc des formes de réseaux aristocratiques
ayant leurs propres intérêts, et pouvant donc jouer des rôles
de contrepouvoirs ou de groupes d'influence politique.
Le
peuple dispose quant à lui de formes d'actions sociales tolérées,
comme le droit de grève. Ainsi les artisans de Deir el-Medineh
cessent le travail sous Ramsès III pour protester contre le
retard de leur salaire. Ils ne le reprennent qu'après avoir
obtenu des garanties du vizir, second personnage de l'Etat.
Ces
principes de la royauté structurent fortement la pensée égyptienne.
Ils créent un système politique dont l'idéal est le prestige
d'une institution incarnée théoriquement en un seul homme,
mais aussi la modération d'un gouvernement que le roi partage
en pratique avec tous ceux qui restent dans l'ombre du trône.
Bibliographie
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Marie-Ange
Bonhême, Annie Forgeau, Pharaon. Les secrets
du pouvoir, Armand Colin, Paris 1988.
Bernadette
Menu, « Principes fondamentaux du droit égyptien »,
in Recherches sur l'histoire juridique, économique
et sociale de l'ancienne Egypte, II, Bibliothèque
d'Etude 122, Institut Français d'Archéologie Orientale,
Le Caire 1998, p. 11-20.
Nicolas
Grimal, Les termes de la propagande royale égyptienne,
de la XIXe dynastie à la conquête d'Alexandre, Mémoires
de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris
1986.
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3/01/00-
10/06/02
© Renaud de
Spens.
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